Quantcast
Channel: UN GRAND MOMENT DE CINÉMA (ou pas) » imagine
Viewing all articles
Browse latest Browse all 32

Critique : Les Innocentes

$
0
0

Anne Fontaine nous plonge avec LES INNOCENTES un coeur d’un récit troublant où l’affirmation de soi est formidablement mise en perspective au regard de la foi. Basant son intrigue sur un fait historique, aussi atroce que tristement commun, la réalisatrice compose une ode à la liberté et au féminisme qui, bien que le film prenne place en Pologne en décembre 1945, se veut universelle. Nourrie de notes romanesques, l’approche, finement sensorielle, tend à une grâce qui rend les enjeux d’autant plus interpellants.

Derrière toute joie, il y a la croix.

Avant de rencontrer la protagoniste du film, nous en découvrons le décor. Confrontés à la ritualité de la vie d’un couvent, où les soeurs avancent en silence et observent un comportement pieux, rendant hommage à Dieu et à son fils, en chantant et en priant, notre attention s’égare sur l’une d’elle (Agata Buzek). Se laissant être distanciée par le groupe, elle s’échappe du cloître par une porte dérobée. Son pas est déterminé. La route semble longue. Elle cherche un médecin et arrive au centre de la Croix-Rouge française. Nous sommes en Pologne, en 1945. La jeune interne qu’elle interpelle, Madeleine Beaulieu (Lou de Laâge), lui explique qu’elle ne peut rien faire pour elle, que le centre hospitalier est destiné aux rescapés français. Alors, la Soeur prie.

lou de laage - les innocentes - anne fontaine

Apercevant et observant la Bénédictine priant à genoux dans la neige, Madeleine défie à son tour l’autorité. Elle emporte une trousse dont elle sait le contenu précieux et fait route avec la Soeur. La nuit est tombée sur le couvent lorsqu’elles arrivent. Madeleine suit à pas de loup celle qui a supplié son aide et dont le comportement dicte le sien. Elle découvre bientôt la raison de sa venue, aidant une jeune femme à accoucher. Mais le silence du couvent se veut pluriel et le pragmatisme du médecin, inquiet du devenir de la mère et de son enfant, lui dicte de retourner au couvent le lendemain, ce qui ne plait guère à la Mère supérieure (Agata Kulesza). Deux mondes se rencontrent.

Révélant peu à peu les enjeux narratifs au fil de la mise en place de l’intrigue, Anne Fontaine nous confronte adroitement à deux réalités et à leurs codes afin que nous percevions la transgression qui réunit d’entrée de jeu les personnages de Madeleine et de Soeur Maria. L’une et l’autre défient l’autorité et les règles – transcendantales ou/et normatives – qui en découlent. Et si la Soeur doit se plier aux lois qui régissent le centre hospitalier lorsqu’elle le pénètre, il en va de même pour Madeleine une foi au couvent. Des lois dont s’étonne sa rationalité, et ce d’autant plus que le comportement des soeurs qu’elle rencontre la surprend. Pour les comprendre, il lui est nécessaire de comprendre la foi. Un cheminement qui le conduit à questionner son propre feu.

Centré sur le personnage de Madeleine, le scénario tend à nous fondre à son regard. Et si nous découvrons la condition et la foi des Bénédictines en même temps qu’elle, nous la rencontrons également dans son intimité et ses doutes. Déterminée et indépendante, Madeleine a une aventure avec Samuel (Vincent Macaigne), le médecin qu’elle assiste. Il est fou d’elle, elle sait l’histoire sans lendemain. Et la modernité du personnage agit comme un révélateur. Insufflant au film quelque fantaisie, comme dans la vie de Madeleine, cette aventure amoureuse permet d’envisager la réalité historique dans sa globalité – de l’extermination de juifs à l’espoir communiste. La cinéaste est alors consciente du recul qu’elle nous demande d’avoir. Un recul nécessaire qui sera le chemin de Madeleine.

les innoncentes - lou de laage - anne fontaine

L’approche semble-t-elle simple qu’elle se révèle complexe. La lecture féministe est-elle évidente qu’elle se développe en corolle. Car si la foi de Madeleine en son pragmatisme est pour elle gage de liberté, la foi qu’elle découvre l’est peut-être tout autant. Les mots des soeurs résonnent d’autant plus en elle qu’ils se veulent rares et donc précieux. «Vingt-quatre heures de doutes, une minute d’espérance » ; « derrière toute joie, il y a la Croix »… Les dialogues se veulent d’autant plus percutent qu’ils transcendent la personnalité et l’évolution des personnages. Enfin l’universalité du propos se dessine tant à travers la situation « mère » abordée – le viol comme arme de domination et de guerre – qu’à travers les pluralité des portraits de femmes déterminées par leurs choix.

Confiant la photographie à Caroline Champetier, Anne fontaine offre à son approche visuelle une chaleur et une lumière singulière. La dynamique de cadrage – mais aussi de montage – permet de tendre à une complicité avec les personnages que nous pouvons « observer » lorsque nécessaire afin d’en découvrir les doutes ou l’effervescence. Et si quelques « effets » plus rhétoriques qu’esthétisants se glissent de-ci de-là, ils ne brisent en rien le caractère sensible voire sensationnel de l’approche. Un autre garant de cette « sensorialité » est le travail sur le son (Olivier Mauvezin, Francis Wargnier, Jean-Pierre Laforce) qui nourrit tout silence de sa résonance. Le soin accordé par la réalisatrice apparaît au-delà méticuleux tant les costumes et les décors agissent comme autant de révélateurs.

Enfin la distribution est l’une des clés de voute qui permet au film de nous emporter au-delà de son propos et de nous-mêmes. Révélant la talent de Lou de Laâge, Anne Fontaine trouve en elle une grâce, une beauté et une intelligence qui nous éblouissent et nous fascinent. Vincent Macaigne en médecin magnanime forme avec elle un couple aussi éclatant que délicat, la réalisatrice lui permettant de travailler de manière inédite la sensibilité et la fantaisie que nous lui prêtons. Si les comédiennes jouant les Bénédictines sont sublimes, Agata Buzek excelle dans le rôle de Soeur Maria tandis qu’Agata Kulesza est étourdissante et pleine de nuance derrière un masque pourtant fermé dans celui de la Mère supérieure.

LES INNOCENTES
♥♥♥
Réalisation : Anne Fontaine
France / Pologne – 2016 – 100 min
Distribution : Imagine Films
Ode à la liberté

les innoncentes - affiche

Vincent Macaigne - Lou de Laâge - les innocentes Les innocentes - Soeur Maria


Viewing all articles
Browse latest Browse all 32

Trending Articles