Désireux de donner plus de corps à ses personnages féminins, Arnaud des Pallières avait fait appel à Christelle Berthevas pour qu’ils écrivent, ensemble, le scénario de MICHAEL KOHLHAAS. De cette complicité est né ORPHELINE qui met en scène un portrait kaléidoscopique d’une femme à la fois fantasmée et nourrie des souvenirs de la scénariste, de son histoire. Au fil d’une structure singulière, où le passé surgit au coeur du présent, ils composent le parcours identitaire d’une femme qui se construit dans l’adversité ; une femme aux multiples visages qui, de mue en mue, apprend à s’affirmer.
Renée (Adèle Haenel) voit débarquer dans sa vie un fantôme du passé et, avec lui, une réalité qu’elle pensait révolue. L’institutrice tournée vers les autres doit alors se faire face tandis que son compagnon découvre qu’elle se prénommerait Sandra. Bientôt emprisonnée, elle se révèle avant tout prisonnière d’elle-même.
À 27 ans, Renée pensait avoir trouvé un équilibre, sans se rendre compte qu’en refoulant ses propres existences, elle s’empêche de vivre pleinement et d’affirmer qui elle est. Paralysée par le simple écho de son nom (celui de Sandra), elle se recroqueville instinctivement. Pour enfin respirer, il lui est nécessaire d’expirer le ressenti qui l’étouffe. Le parcours qu’elle entame est tout à la fois un dialogue avec elle-même et une confrontation entre ses identités.
Appréhendée au présent, impressionnée dans un quotidien qui bascule, Renée/Sandra fait alors face à ses différents visages au fil de trois périodes clés : de son enfance à son adolescence, de son entrée à l’âge adulte à son affirmation en tant que femme. Reposant sur une logique chorale, tant les récits de vie peuvent, apriori, tenir d’histoires singulières, le scénario tient plus du puzzle que de l’introspection. Multiple, Sandra a pour visage celui de quatre actrices (Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot et Vega Cuzytek) qui, différemment, lui insufflent souffle et énergie. Un pari osé qui offre au film sa singularité.
Confrontée aux addictions des autres (et des hommes) – le jeu, le sexe ou encore la boisson – Sandra éprouve le présent avec les armes qu’elle fait siennes : du silence à la sexualité, de la fuite au dialogue (ou inversement), elle saisit les instruments qui sont à sa portée en commettant, fatalement, des erreurs. Elle s’approprie la « féminité » qu’on lui impose (comme la société le fait) pour l’éprouver et la confronter à la « virilité » à et de laquelle les hommes qui jalonnent son parcours doivent répondre – des hommes qui peuvent à la fois être des figures monstrueuses et des anges gardiens.
À l’organicité de l’écriture (qui entremêlent quatre récits dont les enjeux se répondent en miroir) répond une approche esthétique proprement pulsionnelle garante de la frontalité avec laquelle Arnaud des Pallières aborde son héroïne – une frontalité qui fait écho à la manière dont la protagoniste fait face à l’adversité et à la vie ; à elle-même. La subjectivité du personnage s’ancre pluriellement au sein de la mise en scène où les sons comme la musique relèvent souvent de la propre perception du personnage. Comme le témoin de son absence de distance quant à sa réalité « sur le moment », le cadre est résolument serré : aussi nous étouffons comme Kiki, Karine ou Sandra pour mieux respirer avec elle. Une dynamique assise par un montage à vif qui fond les époques en un même mouvement temporel et se révèle souvent déstabilisant tant il nous laisse « sur le moment » interdits.
ORPHELINE
♥♥(♥)
Réalisation : Arnaud des Pallières
France – 2016 – 150 min
Distribution : Imagine Film
Drame
FIFF 2016 – Compétition Officielle
Bayard d’Or du meilleur film / Bayard de l’interprétation féminine (prix collectif)